Avant-première
Pour Alice…
De l’eau, là, tout au bout du studio. Une pause, une petite, un peu d’eau. Pourtant, j’ai l’habitude depuis le temps. Depuis ces mercredis, toute petite, tout en rose et en fraîcheur. Mais là, aujourd’hui, ça me semble tout particulièrement difficile.
Déjà la barre au sol : quarante-cinq minutes de travail pour se mettre en jambe, commencer à sentir le mouvement. Pour une fois, je suis au top : tout passe merveilleusement bien.
Puis une heure de barre à s’en arracher la santé. Rien de brutal, juste tout emmené à la limite du supportable. Mon corps me fait mal. Je sens ce fil imaginaire me tirer vers l’infini, allonger mes jambes et mes bras, mon dos qui part vers le haut, y’a tout qui se barre !
Du coin de l’œil, je vois ce fichu ruban sur ma pointe gauche. Depuis que j’ai douze ans que je couds mes pointes, que j’ajuste ces rubans pour qu’ils tombent à la perfection, qu’ils tiennent bien la cheville. On penserait que c’est devenu une routine ; bien non, je me plante encore et toujours. Il n’y a vraiment que maman qui les réussit à tout coup.
Des dizaines de pointes, je n’ose même pas imaginer combien j’en ai usé pour me rendre à ce moment tout approche. Changer de fabriquant, changer de modèle, changer de maker pour arriver à identifier laquelle est la plus confortable, laquelle me fait le plus beau coup de pied. Tout ça pour les mettre en pièce avant le premier service, puis tout remettre en place. Et puis quelques semaines d’utilisation intense et on recommence.
Enfin quelques minutes de répit, un peu de temps pour boire un coup et souffler. Repenser à ce qui m’attend, demain soir : mon premier rôle de premier plan.
Milliers d’heures de travail, déceptions, découragement, émerveillement, découvertes. Tout ça qui, depuis toute petite fait partie de ma vie au quotidien. Le conservatoire, les stages, les auditions, les refus. On s’habitue un peu, mais jamais tout à fait. Et la passion fait taire ces désillusions passagères, ces écueils qu’il faut trop souvent rencontrer si on veut en faire une carrière.
Puis un jour on nous dit oui. On nous offre un rôle, une sensibilité à transmettre, à exprimer. Quelqu’un à sublimer, à faire bouger, à qui donner la vie. Et on se retrouve petite fille, première fois sur une scène. À jouer à la maman, à pousser le caddie, à traîner bébé derrière soi. Et on réalise que depuis ce jour c’est ce qu’on fait : faire vivre son personnage, le mettre en mouvement, ajouter des émotions.
Demain, mes sens réchaufferont leur cœur, mon expression les emmènera loin, ailleurs, au bout de mes pas. Aujourd’hui, à l’avant-première, les chauffes entourent mes pieds de l’énergie de mon art, la force de ma passion, l’expression de mes rêves. Ils gardent à l’abri l’histoire de ma danse, le chemin de ma vie. Mes pieds n’ont plus qu’a le suivre.
du rêve à la réalité…
Ton texte retranscrit brillamment cette passion sans laquelle un tel rêve n’est guère réalisable. C’est émouvant et poétique.
On est vraiment dans l’univers de la danse là. On sent que tu maîtrises le sujet…
Pas moi autant que ma fille, au conservatoire depuis qu’elle a douze ans 🙂
Toi tu as fait de la danse!!Il y a des détails qui paraissent impossibles à trouver dans ton texte sans l’expérience….C’est tres interessant…Et sinon encore plus bravo!….
Oh que non ! Je ne veut même pas m’imaginer en danseur 🙂
Mais ma fille danse depuis qu’elle a cinq ans, est en cursus Danse-étude au conservatoire de Versailles depuis qu’elle en a douze donc la maison baigne un peu dans la danse tous les jours.
Donc j’ai effectivement la chance d’avoir un point de vue un peu privilégié.
Merci !
Un texte dans lequel on sent l’appel de la danse, bravo !