20. Ballade dans la ville
Beaucoup trop de rues, et surtout deux fois plus de trottoirs. Tout nu, errant dans les veines de ce corps sédentaire, je me sens regardé par tous ces passants qui me trépassent de leur regard arrogant. Tout ces yeux qui transpercent mes vêtements comme autant de pièces Cellophanes me laissent sans défense, mal à mon humilité, et sans aucune défense. Et un changement de trottoir ne ferait que changer les paires sans modifier mon jeu. Il m’est évidemment impossible de m’échapper, ce qui serait pourtant la dernière chose que je désirerait.
Sans vraiment me sentir accepté par tous ces promeneurs, je me sens de plus en plus ignoré de ceux-ci, ce qui me réconforte, me foutant moi-même de la grande majorité de tous ces produits sans nom, sauf peut-être pour les quelques jolies dames qui tapissent le mortier qui s’écoule sous mes pas. Mais en même temps, j’ai l’impression de lentement devenir un minime élément de cette ville. Sans vraiment être complètement partie prenante à sa vérité, un peu comme l’homme qui sans devenir femme, se s’imagine faire partie de sa partenaire pour un court temps.
C’est ainsi que les vents de la ville me porte, comme un éphémère par temps de grands vents, de coins en parc, de maisons en palaces, de bistros en cafés, me donnant peu à peu l’impression de faire un pèlerinage en terre sainte, de pouvoir vérifier de mes propres yeux tant de choses qui ne m’avaient jusqu’à maintenant que dites. À moi la chance de prêter mes globes à tous cette activité nocturne, ce va-et-vient de marteaux et d’enclumes, de capes et d’épées, de jours et de nuits. Tant de couples qui descendent quant moi, aussi seul que la fin du monde, je monte ce calvaire d’un pas plutôt résigné.
Assommé comme un pendu attendant sa corde, je me déplace sans aucun but et encore moins de passe. Comme si une divinité avait décider d’élire domicile dans mon crâne trop peu peuplé. Comme si les cendres des templiers voulaient voir du pays et remettre en ordre le leur. Mais ce soir, c’est l’ordre que je veux fuir. Cet ordre qui dans ma tête ne peux qu’emmagasiner poussière et immobilisme. Tous ces vieux concepts qui me poussent à tirer, qui me force à vivre selon les expériences passées, quitte à répéter les même victoires, qui ne sont en fait que demi-fête lorsqu’on les connaît déjà.
J’en ai plus que marre de vivre la même vie, de refaire les mêmes erreurs pour ne pas me mettre à jour, pour éviter de dévoiler un peu plus de moi que ce que je ne connais déjà. Cette complaisance à reculer devant cet inconnu pouvant me blesser me rend inerte. Je me sens comme un vieil auteur au faite de sa carrière qui décide d’écrire ses mémoires pour n’avoir qu’à raconter sans avoir à créer. Bien que l’exercice soit louable, il n’est pas achetable. Il nous faut quelquefois se lancer dans l’action, se jeter à l’eau et se laisser porter par la mer. Et je suis pourtant là, sans prendre part au mouvement espérant un événement en ma faveur. Rien ne peux arriver sans qu’on y soit acteur de quelque manière que ce soit.
Lentement, les souvenirs de cette lointaine veille reprennent vie. Noyés dans un vague brouillard d’alcool et de cigarettes, je vois renaître cette nuit qui me semblait éteinte. La braise presque éteinte de ces étonnements vient soudainement d’accoucher d’une nouvelle lueur. Et de la flamme, tout les échos de cette nuit viennent vibrer à mes oreilles.
Bien des tables regroupent autant de coudes. La périphérie de ces angles agite la vie de tout côtés. Les uns démembrent les idéaux des autres. La fête des unes abrutit le désespoir des autres. Dans un coin, on nourrit l’esprit quand tant d’autres nourrissent tout simplement l’espoir. La vie véhicule le mouvement.
L’ange de service veille au sort de chacun de ses hôtes alors qu’elle ne pourrait rêver qu’à ce que sorte ces autres. Pourtant elle veille. Son acolyte observe d’un oeil attentif les allées et venues d’un trafic qui voyage sous ses yeux. Crésus, debout au fond du bar, veille au grain alors qu’il pourrait dormir comme un gardien de moulin-à-vent.
Familièrement, tout ce décor se propage à la rue d’où il prends forme. Comme une osmose de bon vouloir, la réalité de ce lien s’imprègne comme une cabane qui se suppose au milieu de la forêt. Et comme chacun de ces arbres, les bougeants de ce lieu peuplent tout ces vides avec des pleins symphoniques qui semblent habitués à ces sous-bois.
D’un éveil anonyme je reconnais un rêveur espérant l’ange qui s’éloigne trop contre son gré pour voler aux attentes de tous ces murs emmureurs. Perdu dans les méandres de ses souvenirs il soupèse le passé pour lui donner une allure de présent. Absorbé dans ses rivières, il a oublié de reconnaître le lac. Et tous ces roses qui fleurissent au poignet de cet insignifiant que j’avais cru reconnaître il y a quelques temps.
Marchant à mes abords, il oublie de faire fleurir ses roses pour ensemencer mon oseille. Que trop étroit est son jardin. Bien trop grande est ma forêt. Ses fleurs se seront flétries avant de m’avoir réjouies. Et lentement, comme lorsque l’automne viens surprendre l’été qui s’était assoupie, la forêt se repose aux abords de ce logis.
Et comme lorsque dans l’antre s’étreint le brûleur, mon souvenir de ce hier se désagrège pour ne devenir qu’un autre de ces compagnon de vie.