16. Dans le lit
Dans cette nuit, au travers des bras d’un silence glauque, j’entends le sifflement doux de son sommeil. Lentement s’exilent des entrailles profondes de son néant, les airs vidés de leur sens oxydant. Lancés dans les airs comme des effluves pyrotechniques qui s’enfuient de l’emprise d’un canal opprimant, elles s’égarent en chemin vers de azimut trop éloignées.
Dans les derniers éclats de cette fête, s’amorce le moment mortel. Court instant de latence où prends naissance de vie éphémère un pastiche de trépas. Durant ce bref instant, il me semble entendre le chant des anges, chant d’accueil de son âme se préparant à quitter son logis sans l’accord du propriétaire. Déménagement furtif, à l’abri de la nuit, à l’ombre des étoiles. Suspendu à l’infini de ses rêves, elle tarde à reprendre l’absence de silence qui confirmerait la mort du trépas. Blâmant l’oubli temporel, je me surprends à suspecter l’absence, à inspecter ce vide pour en découvrir un remplissage de failles. C’est comme si son absence de respiration à elle m’étouffait, moi.
Comme si cette culpabilité appréhendée de motifs trop peu nobles me sautait au visage alors que j’assiste, pendant cette fraction de seconde, à l’accouchement de mes desseins. Chacun de ceux-ci enfouis au plus profond de mon être, voisin de ma moelle et des péchés de première communion. Venant confirmer des ébauches que je ne me suis pas encore permis de mettre en chantier. Toujours étranglé par la honte et la surprise, je ne m’aperçois qu’à peine du début de retour vers l’aérobie interne, gonflement lent et à peine audible de ses antres pulmonaires. Elle continu ce ballet monotone de vie nocturne pendant que je me livre à un combat contre les démons du péché.
Seul devant moi, je me dois d’expliquer ce dérapage, à confronter la surprise et l’effroi d’envisager des sentiers qui me sont étrangers. Elle, par son souffle saccadé, me souffle des réponses que je ne saurais prendre. Une telle rage émane de mes entrailles, tant de mort respire dans mes veines, et elle, d’un sommeil paisible, me donne les solutions. Celle-là, que j’avais tant cherché, que j’ai trouvé au nom d’un autre, qui m’a aimée au nom d’un autre me donne des réponses qu’elle aurait pu donner à d’autres.
Sa nuit met au monde mes jours. Elle termine ma vie en lui donnant un commencement. En un sens, elle donne vie à ma mort. Agressive jusqu’au plus profond de son sommeil, elle s’attaque à mes rêves et les fait siens. Vainqueur d’une lutte inégale, elle s’accapare comme bourse, le prix de mes sommeils. Elle vient mettre à jour le coeur de mes nuits. Peuple de soleil les pleines lunes de mon ciel. On ne peut combattre contre un ange pareil, qui vous endors le coeur pour mieux prendre votre corps. Dors, dors chérie, vogue dans ce torrent qui soulève tes états d’âme jusqu’à tes yeux clos. Laisses-toi voler au travers les nuages qui assombrissent nos soleils.
Loin de moi, ces pensées voguent vers des trésors qui ne seront miens que par ses contes volontaires. Trop loin de mes yeux, aveugles de partage, dans un lit trop étroit pour y rêver à deux, je m’éloigne sans attacher mon ancre au fond de ses divagues. Trop loin de ses proches, j’essaie de m’éloigner encore plus pour éliminer cette proximité qui nous intrigue et nous inquiète.
Il t’en manque de ces soubresauts pour te les multiplier en surprises. Trop de tranquilles métaphores bercent tes égards et chantent les sommeils de tes nuits. Il te faut glisser le long de ces calmes tempêtes et te recueillir au bas de ces pentes trop courtes. Laisses venir à toi ces affluents, s’écouler ces rivières de repos qui s’égouttent tranquillement dans l’amphore de tes souvenirs.
Sans aucun bruit, sans l’ombre d’un mouvement, je sens soudainement l’emprise d’un sujet, l’appel d’un complément, la suggestion d’un impression s’emparer solidement de mes épaules, encadrer mes déplacements, imposer l’immobile à mon corps, comme s’il m’étais impossible de combattre l’inconfort du mouvement. L’attache de ce câble, me liant à l’intense pulsion qui se fait mienne, qui amalgame mon corps, me rend inconscient aux stimuli de cette autre vie qui m’entoure. Incapable de bouger la volonté de son fourreau, de déloger l’initiative de l’enclave où elle se reposait, je suis livré à moi-même et surtout à cet urge qui m’emplis d’étreindre la vie qui vibre dans ces yeux, qui luit dans sa voix.
Quelqu’un d’autre que ma pensée établis les règles, met au point ces virgules et pondère les restes d’une action encore à venir. Et je me sens trop témoin, comme un buste trop plat. Il me pèse d’éloigner la pensée qui brûle mes concepts, qui incendie mes préceptes, qui repousse du fil de sa main les fondements de ma conscience au prix modique d’une vengeance à rabais.
En silence tu vogues à la remorque de tes songes, oscilles dans les bras frêles du repos de Morphée, ta demi-soeur. Pendant ce temps, moi, c’est Mars qui m’ébranle. Je te laisses vibrer aux confins des méandres qui tracent le cours de ta nuit.
Qu’est-ce qui se passe derrière le voile de tes yeux ? Qui active ces frémissements de ton âme ? Pourquoi fais-tu vivre l’écho de mes murs qui n’arrivent pourtant à enfanter qu’un faible reflet de tes tendres chansons nocturnes. Il ne m’est permis que de transposer dans mon monde l’éventail refermé des images que tu crées lorsque tu le tiens ouvert. Et pendant que son sommeil à elle peuple ma veille, j’imagine le noir de ma chambre à coucher de visages s’évadant de ma boite à souvenirs. Etrange de meubler sa nuit de figures.
Comme dans l’antre d’un sombre dragon, bruyant à m’en siffler les oreilles, j’avance lentement, laissant mon sens critique au vestiaire, avec d’autres menu items. Cette lente recherche d’une identité si loin de la mienne m’amène à bousculer une masse bestiale, vibrant au échos d’un sournois battement, balancé comme des virgules le long d’une phrase insensée.
L’impardonnable assaut qui me frappe de plein front, implacable comme la nuit au bout du jour, me fait renoncer à m’opposer aux tendances qui m’entourent. Je me laisse couler dans le lit de cette fausse rivière, rigoler de ces troncs qui m’entourent, comme si ma course avallienne m’acheminait au coeur d’une forêt défoliée.