8. Le premier baiser

“Ouais !, où est-ce que je suis rendu ? Drôle question après avoir parcouru tout ces alinéas de bitumes ! Y a vraiment rien aux alentours. C’est comme si j’avais bu un verre déjà vide pour me mener à bon port. Comme si je suivais le mauvais chemin dans la bonne direction.

– Oui mais quand tu suis quelque chose, tu ne choisis pas ta destination. Tu évolues au rythme de ce que tu suis.

– C’est bizarre, je croyais évoluer au rythme de ce que j’étais.

– Et qu’est-ce que tu es ?

– Un routard en peine de route peut-être ? Qu’est-ce que tu en penses ?

– Faudrait pas me demander à moi, je te connais à peine.

– Et je parie que tu as peine à me connaître, n’est-ce pas ?

– On pourrait dire, mais ça serait assez banal.

– Bof! , ça suit la route que je trace…

– Pas vraiment, si tu veux mon avis. T’essaies de banaliser les balises qui longent ta route mais elles sont toujours aussi visibles de l’endroit où je me tiens.”

Lentement les balises se mettent à fondre, à s’éloigner de moi comme un voilier d’outardes en route vers le sud. Lentement, sans brusquer le silence qui nous entoure, je l’enlace et dépose au fil de ses lèvres un léger baiser qui va résonner jusqu’au fond de mes entrailles.

Et l’instant qui suit est tranchant, tant il est plein d’attentes et d’appréhensions. Un léger recul et tout s’écroule, un simple regard franc, et tout s’invente. Jusqu’au plus profond de mon désir, je ressens la complicité de sa franchise.

J’enlace son corps frêle comme on étreint une jeune âme lorsqu’on désire lui épargner les affres de la vie. Je l’entoure comme un jeune rosier que je désirerais voir fleurir. Je l’entoure si bien que je ne peux sentir la brûlure des épines qui me transpercent, qui atteignent de trop près l’étoffe que tissent mes sentiments. Je lui abandonne mes sens, au prix de ma vie. Je lui remets mes rêves, à l’ombre de sa nuit. Peu importe ce que j’en tirerai, il en sera plus clair que ce nuage qui me suit à la traîne.

“Ces balises, elles sont à toi, et tout ce qu’elles transportent, dans leur voyage immobile. Elles voient passer tout ces passagers alors qu’elles font partie de chacun de ces voyages.”