Rédac

Il y a quelques semaines, Alice stressait à propos d’une rédaction qu’elle devait faire en français.  Pour l’encourager, nous avons décidé de nous y mettre, nous les parents et de faire la même rédaction, inspirée du texte “Le pied de momie” de Théophile Gautier. Histoire de ne pas la perdre, j’ai pansé la laisser traîner ici.

Voici donc.

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Après maintes hésitations, j’arrêtai mon choix sur un bloc de « marbre blanc » de quelques centimètres, aux côtés lisses et muni d’arêtes vives et acérées. De la couleur de ces galets que l’on retrouve sur la côte, lavés par la houles pendant des décennies, bien lourd et dense pour garder en places tous ces livres qui peuplent mon espace de travail. Je revins donc à la maison, heureux de mon acquisition et convaincu d’avoir bien négocié.

 

Rentré à la maison après une longue journée de recherches, heureusement fructueuses, je réorganise mon espace de travail et place le bloc de marbre bien en vue au milieu du bureau, appuyé contre les recueils de poésie grecque et latine. Là, il saura tenir compagnie aux héros de l’Iliade et de l’Odyssée. Fatigué par tant de marche, je décide de restreindre mon dîner à la portion congrue en espérant gagner mon lit le plus rapidement possible. Bouillon et quignon de pain seront tout à fait suffisant.

 

Malgré la frugalité de mon repas, le temps me paraît être long et je sens le sommeil me rejoindre doucement. Soudain, mon attention est attirée vers le bloc blanc posé sur le bureau. L’observant attentivement pendant quelques instants, je remarque autour des bords en contact avec le bois du meuble comme une flaque blanche qui semble se déplacer vers moi. Incrédule au début, je me rends rapidement à l’évidence que le cube semble fondre. Plus curieux encore, le liquide qui en découle s’avance dans ma direction et commence à ruisseler des bords de mon bureau.

 

Sans même avoir le temps de réagir, mes sens alourdis par cette journée épuisante, je réalise que mes pieds baignent déjà dans cette marre de marbre qui chemine vers moi. Il m’est maintenant impossible de m’avancer pour inspecter le cube, du marbre liquide jusqu’au genoux en cours de solidification me figeant sur place. J’arrive toutefois à discerner d’étranges formes qui se détachent des faces du cube qui ne semble pas rétrécir malgré tout ce marbre liquide qui inonde maintenant la pièce. L’étrangeté de ces formes s’effacent rapidement pour laisser voir clairement les traits d’un homme barbu à l’allure sévère et convaincue.

 

Il me toise de loin, son regard penché sur moi comme s’il me regardait haut de son navire. Moi, immobile dans cet océan de marbre, je n’arrive plus ni à bouger, ni à remuer mes bras. L’angoisse me submerge et je sens la détresse monter jusqu’à mon visage, implorant son aide à ce qui fut un cube de marbre, maintenant devenu le buste d’un homme barbu à l’air sévère.

– Ne voyez-vous pas que je coule et risque de perdre ma vie ?

– Vous m’avez enlevé à mon périple et je me retrouve aujourd’hui à terre. A vous de me rendre à mes voyages et vous serez sauvé

– Mais comment puis-je vous rendre votre liberté, ici, immobile et submergé par tout ce marbre ?

– Réalisez donc ce que représente le drame de ne plus exister que par son buste, dans un monde uniquement fait de marbre !

 

Les derniers mots du navigateur résonnèrent bruyamment dans ma tête. Lentement je sentis l’étreinte du marbre se libérer, mes membres engourdis regagner leur liberté. Ma tête immobile quitta la table où elle était appuyée et j’ouvris les yeux. La fatigue de la journée l’avait emporté sur mon dîner. Le jour s’était levé et le soleil rayonnait par la fenêtre illuminant toute la pièce.

 

Sur mon bureau était appuyé, contre les récits d’Homère, le buste de marbre d’un navigateur grec à l’air sévère et convaincu.

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