7. La fin de la route
“Ma vie est sous mon total et complet contrôle. J’ai l’entier loisir de lui mettre fin au temps où il me sied le mieux.”
Il faisait noir. Un noir de sang. Si noir, qu’un autre aurait eu peur de lui-même. Mais la peur, à ce stage, n’avait plus aucun sens. Incongrue au point d’en devenir absurde. Et malgré le temps qui passe, mes yeux ne s’adaptaient qu’à leur orbite, sans bouger plus qu’il ne faut. C’était juste avant, ou un peu après. Et il y avait ce son sourd qui allait s’amplifier aux confins des coins de murs. Déplacer les araignées qui dormaient de tout leurs poings fermés. Beaucoup trop de ces amalgames de jointures qui fendent la gueule aux insectes trop aventureux.
Un silence lourd, de ceux qui vous assourdissent sans rien sous-entendre, sans rien chuchoter. Un bourdonnement, tel le bruit résiduel, cet écho des ténèbres engendré par la souffrance des étoiles. Un résonnement qui vous torture jusqu’au fond des tripes, qui vous égorge en vous laissant respirer, qui vous aspire l’air des poumons, en vous laissant l’air dans le visage. Un air que personne ne veut voir, mais que tous vont regarder.
Et soudain, la révolution. Ce retour au point de départ, en passant par tout les environs dont la latitude vous laisse libre. Sans m’éloigner, je faisais le tour du monde. Du miens en tout cas. Une giration excentrique, plus que l’est la vie qui l’engendre, me transportait tout azimut aux entrailles de décors inconnus. Elle me traçait des arabesques aux quatres vents, m’inventait des comptines, des chants de corde à danser, de danses à accorder, d’esprits à tenter. Je suis entré lentement dans ce train qui ne cesse pas de partir, qui ne ce décide pas à arrêter.
Trop d’écueils entravaient le chemin que j’allais suivre. Trop de faux sentiers semblaient mener au paradis. Tant de vrai détours m’avaient traîné hors de ma voie. Tout ces bûchers en travers du chemin si obscur. Et moi je me suis tenu debout, devant cette porte, dans cette nuit plus noire qu’on ne pourrait l’espérer. Cette masse inerte se tenait devant moi. Morte dans son inactivité. Et moi qui empoignait le souffle de sa résurrection entre mes doigts trop frêles. Tremblant sous la pression de ce chemin que je n’osait prendre.
Plus que quelques pas me séparaient de ce cadavre. Déjà trop froid pour donner signe de vie. Et j’hésitais encore. Trop de questions se chamaillaient alors dans le fond de mon cerveau. D’interminables insultes étaient lancées vers mes décisions. Des entailles dans les mollets de mon entêtement. Et tous ces ronces qui s’enfonçaient dans la chair trop vulnérable de mes doutes ébranlaient le tissus serré de mes envies. Et le sang qui s’écoulait de mes convictions venait entacher la surface de mon action. Mes pas m’ont dirigé vers cette forme floue qui m’a laissé m’engouffrer dans ses entrailles sans émettre un son.
Et d’une caresse, elle laissa filtrer un léger frisson. Comme une petite bête que l’on aurait tirée d’un sommeil profond. Et elle fit courir, tout le long de sa structure vertébrale, un long remous qui lui tira de subtils gémissements, plutôt agréable à mes oreilles. D’un léger mouvement, je lui volai un sursaut d’énergie. Une étincelle de plaisir étincela alors dans ses yeux.
Lentement, je laissai monter en elle un léger bourdonnement qui la déséquilibra momentanément. Sans s’emballer, elle répondit langoureusement par une subtile lamentation qui laissait supposer son consentement. Et ce jeu qui se poursuivit pendant une poignée de longues minutes me donnant l’impression que le temps avait soudainement pris le temps de vivre pour quelques instants. Cet étourdissant ballet de frémissement commença à m’enivrer, sans pour autant m’abasourdir trop brutalement. Je sentais monter en moi ce désir qui nourrit une passion languissante.
Mais je ne voulu surtout pas laisser aller mes pulsions trop rapidement et ainsi tuer dans l’oeuf un objectif beaucoup plus noble. Ce qu’elle eut rapidement compris, commençant à manifester son impatience immédiatement. Je me plaçai donc un peu au dessus d’elle, juste assez près pour pouvoir la contrôler sans pour autant lui imposer ma présence trop brutalement. Elle réagit sans attendre en me faisant sentir un faible remous de satisfaction. Sans plus attendre, je laissai aller mes mains le long de ses courbes arrondies, empoignant légèrement les côtés de ce mince corps.
Aussitôt, une légère résistance se fit sentir. Non pas une résistance, mais sans doute un raidissement volontaire. Un peu comme l’expression d’un lent abandon sans toutefois laisser aller toute son contrôle immédiatement. Doucement, calmement, le mouvement léger son corps me donna l’impression d’une complicité, une entente tacite rapprochant deux corps pourtant si différents. De plus en plus, ce mouvement s’accentua, jusqu’à devenir un continuel déplacement de ces deux jeunes âmes.
Et soudainement, sans trop y avoir porté attention, je me rendis compte de la vitesse que nous avions atteint sans nous en rendre compte. Si vite qu’une sorte d’ivresse s’empara de moi et me poussa à augmenter encore la cadence. Et à en juger par ce son hybride, savant mélange de rugissement contenu, de gémissement langoureux et de millions d’autres sons sous-entendus, le plaisir était pleinement partagé. Elle semblait participer entièrement à l’expérience inattendue.
Et de son côté à elle, beaucoup de questions la traversait, sans pour autant accaparer son attention. Tellement autonome d’ordinaire, elle se senti, cette nuit, tout à fait soumise. Effrayée par le sort incertain qui la guettait, elle ne pu qu’offrir sa pleine et entière coopération en retour. Comme si le destin, aussi fatal qu’il puisse l’être, ne fut encore qu’un bien faible prix à payer pour espérer atteindre cette expérience physique extraordinaire que je lui proposait. Elle était prête à tout sacrifier pour atteindre avec moi l’extase, ne fut-ce qu’une seule et dernière fois. Elle répondit donc à chaque stimuli par un dégagement d’énergie et un don total et entier. Elle lui donna à ce moment tout ce qu’elle possédait. À moi de savoir en faire bon usage.
Malgré le danger latent, et un voile d’inconfort causé plus par l’inconnu que par la rapidité avec laquelle tout bougeait, je ne pu m’empêcher de toujours vouloir aller plus vite. Je devint comme hypnotisé par la vitesse, paralysé par le mouvement qui m’enveloppait. Et cette ivresse ne faisait qu’augmenter, devenait de plus en plus omniprésente, pour enfin devenir la seule vraie sensation dont je pouvais être conscient. Et je me sentit soudainement happé, avalé par tout ce mouvement. Une seule chose m’importe vraiment : pousser au maximum cette vitesse jusqu’à rejoindre l’extase ou périr de douleur. Amené à nos seuils physiques nous cessons d’augmenter mais nous gardons un rythme aussi vertigineux et effréné.
Et lentement, vaguement au début, se dessina à l’horizon les contours inexacts du but que nous cherchons ensemble. Difforme et imprécis au tout début, je le sentit se rapprocher très rapidement. Si rapidement qu’il me fut difficile de garder ma concentration, si nécessaire à notre envol simultané. Je resserrai lentement mais fermement mon emprise sur ses côtes arrondies. Et brusquement je la sentit s’agiter dans tous les sens. Comme si elle était violemment secouée. Et tout fut si rapide. Dans un éclair soudain je me sentit emporté, projeté dans un tourbillon d’émotions, comme si soudainement mon âme avait été projeté hors de mon corps.
Ce fut pourtant bref. Tellement renversé par tous ces remous, j’eus peine à retrouver mes esprits. Et lentement je m’aperçut que ce serais tout ce que je retrouverais