6. La rencontre

C’est en la suivant que je me rends compte que je ne serai jamais derrière elle. J’ai toujours quelques pas d’avance. Quelques aubes de plus à chaque lever du soleil. À l’endroit où elle me mène, je vais assoupir ma conscience sans jamais l’endormir. Je vais goûter à ses rêves sans la voir dormir.

Depuis longtemps, je veux passer à l’essentiel, sauter par dessus les embâcles que sème le temps et arriver directement aux remous intenses d’une passion engendrée par l’inconnu. Maintenant j’y suis. Devant elle. Sans avoir eu à ouvrir la bouche pour l’attacher à ma langue. J’ai surtout trouvé de bien meilleures choses pour occuper cet appendice buccal. L’animal qui sommeillait en moi, l’écureuil qui dormait en mon tronc se démène maintenant sans retenue. Il se déchaîne de mon donjon thoracique. C’est comme s’il voulait sortir et venir voir par lui-même.

Et bien ce soir, je suis seul à la voir. À la voir car déjà je sais que jamais il ne me sera donné de la revoir. À partir de ce moment, le néant vit à ma place. Sa vague me transporte trop loin de la rive pour que je puisse y revenir. Je me laisse porter et elle le sait. Elle ne le sait que trop bien, c’est ce qui m’intrigue et m’accapare. Qu’est-ce qui l’a attiré, lui, avant qu’il ne me laisse son ruban ? Et moi maintenant je me retrouve au bout de son ruban à elle. À la fin de cette fine lamelle de tissus où tout va commencer.