13. La sortie du bar

Les éclats mitigés des luminaires suspendus au ciel de ce bar, venaient de perdre en intensité ce que la soirée avait gagnée en intimité. Un vent de nouveaux arrivants vidaient les lieux, me laissant presque seul, observant l’absence fumante autour de quelques cendriers. Ce grondement sourd, amalgame de discussions plus ou moins significative avait maintenant laissé place à une douce musique qu’accompagnait l’activité du barman.

On aurait pu construire un port et une orage, tant l’atmosphère était lourde. Toute cette absence étouffait mes sentiments. On peu se permettre d’être mélancolique au travers d’une foule. Mais l’écho de ces murs vides semblait amplifier mon état de délabrement. Rien ne pouvait émerger de tout ce silence à peine audible. Et moi, je pouvais bien me passer de cette intimité.

Plus qu’un assombrissement, c’est bel et bien l’extinction de la conscience qui arrivait et m’assaillait. Comme un noyé essayant d’éloigner de lui la nappe fluide qui l’enveloppe, j’essayes tant bien que mal de ramener un peu de lumière dans ma torpeur. Et tous ces noirs sentiments éloignaient en moi le désir de respirer, comme si cette liqueur de noyade emplissait mes poumons. Sans trop vouloir me débattre, je conservai quand même une impulsion tenace qui m’étreignait au niveau des épaules, me poussant à élancer mes bras pour attraper le vide.

Tant de gens, mais si peu de qui me ressemblaient. Bien des figures mais si peu de formes. Beaucoup trop de fois déjà me suis-je demandé pourquoi je me trouvais au milieu de tant de différence. Des différences qui m’étaient tout, sauf indifférence.

Et au milieu de cette pleine absence, je ne pouvais me retrouver. Mon coeur se tiraillait comme le muscle de l’animal sous la dent du lion. Tout ces trous de présence étaient autant de manifestations du vide de mon âme. Toute cette absence de sentiment m’étouffait, me prenais à la gorge comme des mains trop fortes pour ma petite stature. Et sans me débattre, je me laissai couler dans cet éther malveillant.

Et lentement, elle me poussa vers l’inévitable. Elle draina mon sens critique comme on vide l’érable de sa sève pour régaler des touristes. Et moi, au milieu de ces tables sans invités, je me perdit en moi-même. Je laissai voler aux quatre vents mes réticences sans vouloir en juger la valeur. Bien que plusieurs synapses me disaient le contraire, ces vibrations émotives prirent facilement le dessus sur un bon sens bien trop faible.

Pendant ce temps, lentement, dans le noir de mes pensées, le bar se rempli. Toutes ces tables trouvent leur amis. Inévitablement, ce pauvre vendeur de roses essaye de se sortir de la misère en poussant le prétendant dans l’embarras. Et tout ces membres d’un amphithéâtre de la consommation se virent attaqués par les vendeurs du temple, offrant des pacotilles d’argent tourné aux acheteurs qui en ont pleins les poches.

Et moi, je me sentit externe à tout cette action. J’observais attentivement les mouvements des acteurs de cette pièce, sans applaudir aux acrobaties qu’ils se permettaient pour séduire l’interlocuteur. Et ce spectacle m’horripilait au plus haut point.

Moi, seul à cette table, donnant au passant un peu plus ambitieux, cigarette et bière. Me miroitant dans leurs yeux envieux, je me demandai d’où cette envie avait germée. Et ce qui me frappais le plus, c’est cet accueil bizarre qu’on m’accordais dans ces lieux épars.

Ce qu’on m’accordait, c’est ce que je donnais. C’est clairement du “Give and take” à l’américaine. La seule façon de recevoir à chaque fois que l’on donne, c’était de se le donner à soi-même. Ainsi, on assure tout les côtés d’une transaction. Mais inévitablement, on termine ces soirées tout seul.

Et à ce moment, c’était cette solitude qui me tua. Ce mouvement lentement initié fut alors inévitable. On ne pu l’empêcher. Rien ne pu intervenir dans ce mouvement de l’action. Je fus alors convaincu que ma place dans cette société était derrière un volant.

Je me levai donc de ce siège immobile et me dirigeai vers la porte de sortie, celle où tout le monde entrait. Tout en essayant de garder ces murs à égale distance de mon corps, je traînai mes membres jusqu’à ma voiture.

Pour m’être si bien conduit envers la porte de sortie, je me trouvai finalement à l’extérieur, sans pour autant me surprendre du résultat. Et de plus en plus, cette porte me sembla présente. Trop présente pour pouvoir m’en éloigner sans risquer ma vie. Sans risquer de la garder tout du moins.

Et soudainement, une vague de chaleur surgit derrière mon dos, trop subite pour que je puisse l’éviter. Bien qu’un subtil doute voulait me maintenir à l’intérieur, il me restait toute la difficulté du monde à affronter, grâce aux auspices d’un auteur trop enthousiaste ! C’est pourtant à l’intérieur que je restai, pour quelques instant de plus, pour pouvoir admirer calmement ce doute qui me tenait. Mais finalement le monstre chaleureux eut raison de moi et me poussa hors de ce havre d’ambiguïté.

Il me restait plus que bitume et hésitations, rien que des choses qu’il m’était facile d’écarter du revers de la main. Et celle-ci, faisant un excellent travail, me laissa le chemin libre sans à-coup ni brutal revirement. Maintenant délivré de cette dernière entrave, on ne pouvait plus me donner la réplique dans cette comédie où moi seul était l’acteur. Il ne me restait plus qu’à faire mon monologue, ma prestation mémorable, celle sans laquelle personne ne se souviendrait.

C’est donc sous cette pleine lune que je me dirigeai vers cette voiture qui allait me conduire à tombeau ouvert vers un lendemain dont je n’était que peu fier.